Viol : Mon témoignage

lundi 9 février 2015

Viol : Mon témoignage

Je me suis faite violée de 14 à 18 ans et pendant des années, j'ai pensé qu'il n'y avait pas eu viol, car l'image que je m'en faisais était celle d'un inconnu déséquilibré et violent, menaçant sa victime. Or dans mon cas, ce n'était pas un inconnu déséquilibré, c'était mon gentil oncle adoré chez qui j'allais tous les week-ends et pendant certaines vacances. Et il n'a jamais utilisé la violence. 

 J'étais une adolescente maladivement timide et réservée, complexée, mal dans la peau, sans aucune estime ou confiance en moi car mon père me répétait sans cesse que je n’étais qu’une idiote, une bonne à rien qui ne ferait jamais rien dans sa vie. Mon père était bipolaire, alcoolique et violent. Il piquait des colères terribles, me terrorisait et menaçait de me frapper avec sa ceinture, me malmenait. Une fois, il a tenté de m'étrangler. Plus tard il m'avait tellement tabassée que j’ai atterri dans un foyer pour femme battue. J’avais donc une histoire familiale compliquée au point d’avoir pris l’habitude de vivre avec un baluchon sous le lit, de manière à pouvoir m’enfuir rapidement lorsqu’il faisait une crise. Parfois ma mère m'accompagnait, dans ce cas nous allions chez mon oncle, parfois, je partais seule dormir chez une copine. 

Mon oncle au contraire, avait une personnalité rassurante, réconfortante, il était toujours calme, posé et c’était la seule personne à être gentil et attentionné avec moi. Je ne le craignais donc pas et me sentais en confiance et en sécurité chez lui, c’est pourquoi j’appréciais sa maison qui me permettait de souffler, de mener une vie « normale » et sereine. Mais en même temps mon oncle m’impressionnait au point que je ne lui adressais jamais la parole. Il y avait un aspect autoritaire et imposant même s'il n'élevait jamais la voix. D’ailleurs sa femme, ma tante Jacqueline, semblait le craindre. Elle me disait toujours : « range ta chambre, Pierre va arriver et il a horreur du désordre. Habille-toi bien, fais-toi belle, Pierre à horreur des gens négligés ». Elle criait beaucoup et mettait tout sur le compte de Pierre qui ne supportait pas ceci ou cela ! Elle faisait de lui une menace constante, mais comme il ne m’a jamais grondé, ni frappé, cette menace était abstraite mais néanmoins présente. 

C’était un homme de taille moyenne, bedonnant, les cheveux blonds filasses, le teint rougeot, avec des lèvres très fines, mais il avait de beaux yeux bleus azur, un regard pur et profond qui lui donnait un air doux et chaleureux. Il était poli, courtois, éduqué, avait un aspect très convenable, toujours bien mis dans ses costumes bleus. Mes parents le respectaient et l'estimaient beaucoup. Il riait peu et lorsqu’il riait, ni ses yeux, ni ses lèvres ne riaient ! Je me souviens aussi de ses mains, des mains de travailleur, toujours calleuses et rugueuses aux doigts boudinés et aux ongles noirs, ce qui était étonnant vu son métier d’ingénieur aéronautique. Il avait une bonne situation, une belle maison dans une banlieue parisienne cossue. Leur chambre était située juste au dessous de la mienne et je pouvais entendre ma tante crier :"pourquoi tu ne me touches plus"! Savait-elle qu'il préférait les adolescentes ?

Tout a commencé bizarrement : je devais avoir environ 13 ans, mon oncle me faisait travailler les mathématiques car j’étais nulle dans cette matière (c’était d’ailleurs la raison officielle de mon installation chez eux). Nous étions donc dans la chambre en train de travailler. Il était toujours vêtu de son peignoir de bain, un peignoir rayé de différentes couleurs sombres. Puis il a commencé à laisser son peignoir négligemment entrouvert et à se toucher l’entre-jambe comme si ne rien n’était. Je m’efforçais de ne pas regarder, et tentais de rester concentrée sur mes leçons, mais je me sentais terriblement mal à la l’aise, perplexe et confuse, ne comprenant pas ce qu’il se passait, car en même temps il demeurait exigent dans le travail et gardait un sérieux imperturbable. La situation était tellement surréaliste, il y avait tellement peu de rapport entre son sérieux et ce qu’il se passait sous le bureau, que je pensais naïvement à de la négligence malgré la répétition des faits ! Pour moi à cette époque je pensais qu’il ne le faisait pas exprès, un peu comme on se gratte le nez machinalement, il ne pouvait pas en être autrement, sinon cela n’aurait pas eu de sens ! Parfois il me touchait de manière anodine (une main posée négligemment sur la cuisse ; ses jambes qui se frottaient aux miennes). Il m’habituait progressivement à son contact physique, toujours l’air de rien. C'était le début de l'engrenage car par la suite, les choses sont allées bien plus loin.

C’était l’été, j’avais 14 ans. Nous profitions de la douceur du soir pour discuter dans le jardin, ma tante, mon oncle et moi (enfin plutôt ils parlaient et moi je les écoutais car j’étais bien trop timide pour intervenir). Puis, plus tard je leur ai fais la bise pour monter me coucher. Je me suis brossé les dents, mis ma chemise de nuit et suis retournée dans ma chambre. C’est alors que dans le couloir, alors que je ne l’avais pas entendu monter, mon oncle a surgi de nulle part, m’a plaquée fermement contre le mur et m’a embrassé à pleine bouche. Ce n'était pas un baiser tendre et langoureux, c'était un baiser goulu, sa grosse langue baveuse s’enfonçait profondément dans ma bouche et tournait à toute allure, de manière grotesque et écœurante. Je n’ai pas songé un seul instant à me débattre ou le repousser car le sentiment qui prédominait à cet instant était la perplexité. J’étais à la fois surprise (dans tous les sens du terme) et sidérée ! Puis il m’a souhaité une bonne nuit en me souriant, a arrangé délicatement une mèche de mes cheveux et est retourné se coucher. A partir de ce moment là, tout s’est bousculé dans ma tête : pourquoi a-t-il fait cela ? Normalement ce sont les amoureux qui s’embrassent, donc cela veut dire qu’il est amoureux de moi ? Mais alors pourquoi je n’ai rien vu venir ? Normalement, avant un baiser il y a toujours des regards langoureux, une certaine ambiguïté, là rien ! J’essayais de puiser dans ma maigre expérience amoureuse pour comprendre, mais j’avais beau me repasser le film encore et encore, je ne comprenais pas. Puis il y a autre chose qui me turlupinait, quelque chose de plus grave : j’avais 14 ans et lui 45, en plus c’était le mari de ma tante, donc mon oncle, est ce que c’était normal ? Je précise qu’à cette époque, j’étais vierge et n’avais reçu aucune éducation sexuelle, le sujet étant totalement tabou à la maison. Le temps a passé, je passais mes vacances chez eux et il se conduisit désormais normalement, comme si rien ne c’était passé (hormis toujours nos singulières leçons de mathématiques, auxquelles je m’étais finalement habituée !). Cette période d’accalmie a duré un moment, au point que je finissais par douter et me demander si je n’avais pas rêvé !

Puis un matin, alors que j’étais tranquillement en train de dormir, il est rentré dans ma chambre sans frapper. Il était vêtu de son peignoir de bain qui était cette fois-ci grand ouvert, portait une serviette de toilette dans une main, un plateau de petit déjeuner dans l’autre qu’il a vite déposé sur le bureau, a tiré les rideaux en claironnant tout guilleret « debout, c’est l’heure de se lever ma petite chérie ». J’ai à peine eu le temps de me redresser qu’il a enlevé son peignoir et enfoncé son sexe profondément dans ma bouche en effectuant des mouvements de va et vient. J’étais encore tellement ensommeillée et sidérée que je n’ai pas réagi, me suis pas débattue. J’étais totalement passive, présente dans mon corps et absente dans ma tête. Tellement absente que j’avais un sentiment d’irréalité, au point, plus tard, de douter  que cela se soit vraiment passé. Ce petit rituel va devenir très fréquent (pas tous les jours, mais je ne savais jamais quand, de sorte à laisser place à l'effet de surprise). Toujours avec le même scénario, le même peignoir. Toujours avec cette même sensation de flottement et d'irréalité. Jusqu’à que j’ai le courage de partir, à 18 ans.  

Un jour, les choses sont allées encore plus loin : alors que ma tante était partie chez le coiffeur, il m’a emmené dans la maison de sa mère qui venait de décéder. Arrivée là-bas, il m’a allongée sur le carrelage froid et dur du salon et a eu un rapport sexuel avec moi. Très froidement. Sans préliminaire. Sans geste tendre. Sans me calculer. Sans me demander mon avis. Sans se préoccuper de mon jeune âge ni de ma virginité. Tout est allé très vite, j’ai à peine eu le temps de me rendre compte et de réaliser que c’était déjà fini. Sur le chemin du retour, il ne m’a pas adressé la parole, il se montrait fermé, agressif, et moi j’étais perplexe, je ne comprenais pas son comportement qui n'était absolument pas comme d'habitude. D'habitude il était toujours chaleureux et tendre, me disait toujours qu'il m'aimait. Là, j'avais l'impression d'être au côté d'un étranger si froid et si inaccessible que j'avais envie de pleurer. Je cherchais ce que j’avais fait de mal pour qu’il se montre soudainement aussi glacial, brusque et incohérent. Je n'ai pas souffert de l'acte en lui même car cela a été très rapide. J'ai souffert de cette sensation d'avoir été utilisée, salie puis jetée. Souffert d'avoir été déshumanisée, réduite à l'état d'objet consommable et jetable. Souffert de cette impression malsaine d'étrangeté, d'anormalité même si je ne pouvais pas encore mettre un mot sur ce qui c'était passé.

Par ailleurs, chaque fois que ma tante avait le dos tourné, il me malaxait les seins comme on pétrit une pâte à pain. Il y avait dans son regard une sorte de fièvre, comme s’il jubilait de ce petit jeu du chat et de la souris avec elle (ce petit jeu était d’ailleurs entre lui et elle, même si c’étaient mes seins, j’avais la sensation d’être totalement exclue de leur jeu !). Il lui arrivait également d’entrer dans ma chambre (toujours sans frapper, mais après tout j’étais chez lui !), il m’enlevait alors le haut pour me mettre seins nus, sans m’adresser la parole, me prenait en photo puis repartait aussi vite qu’il était rentré, toujours sans un mot. Un jour, alors que mon oncle et ma tante étaient sortis, je suis allée fouiner dans leur chambre et j’ai trouvé les photos dans leur tiroir, entre les slips et les chaussettes. J’ai également aperçu plein d’autres filles aux seins nus, mais à cause de la précipitation liée à la crainte d'être surprise, je n'ai pas pu les distinguer.

Un jour, c’était l’été, je devais avoir 16 ans, nous déjeunions sur la terrasse avec ses enfants (il n’avait pas d’enfant avec ma tante qui était sa seconde épouse, c’étaient donc les enfants issus d’un premier mariage). Lorsqu’ils venaient, c’était toujours branle bas de combat, il fallait nettoyer la maison de fond en comble, mettre les petits plats dans les grands et se mettre sur son trente et un. Ces préparatifs mettaient ma tante d'humeur exécrable et lorsqu’ils arrivaient enfin, pour mon oncle je n’existais plus. Après le repas, sa fille s'est installée dans un transat au soleil, en maillot de bain. Je suis rentrée au salon pour regarder la télévision. La porte fenêtre était ouverte et je pouvais continuer à voir ce qu’il se passait sur la terrasse dans le reflet de la vitre, sans être vue. Ce que j’ai vu alors m’a sidérée : j’ai vu Pierre se pencher sur sa fille et lui caresser les seins sous son maillot de bain. Elle le regardait et n’avait pas l’air surprise, comme s’il s’agissait de quelque chose d’habituel, mais ce qui m’a alors choquée c’était son regard : elle avait le regard d’un lapin pris dans les phares, à la fois résignée, subjuguée et terrorisée. Je sais que sa fille a fait une tentative de suicide, et à l’époque je n’avais pas compris pourquoi ! 

Une autre fois, alors que j’étais à l’étage, je m’amusais à épier ma cousine qui s’admirait dans le miroir d’en bas (d'en haut, je pouvais voir tout ce qu’il se passait en bas, sans être vue grâce au reflet d’un tableau situé au milieu des escaliers, et je m'amusais souvent à ce petit jeu d'espionnage), quand tout d’un coup j’ai vu mon oncle surgir derrière elle par surprise et lui caresser les seins. Elle non plus n’avait pas l’air étonnée et s’est laissée faire. Elle avait ce regard singulier. J’ai parlé à ma cousine, je lui ai tout raconté pour moi et elle m’a avoué qu’il se passait la même chose pour elle. Elle parlait de viols, qu’il fallait le dénoncer pour que cela s’arrête mais avait peur qu’on ne nous croit pas. Je lui disais oui oui et nous échafaudions ensemble des plans pour le confondre, mais en vérité, ses propos n’avaient pas eu d’écho en moi à cette période là. Je ne réalisais pas encore qu’il s’agissait de viols : Je n'avais pas été brutalisée, je ne me suis jamais débattue. Pour moi le viol c’était forcément un parking sombre, un inconnu menaçant, un sentiment d’insécurité mais en aucun cas un gentil oncle dans un foyer chaleureux ! De plus, le dénoncer, à cette époque, il en était hors de question : D’une part, j’avais tellement honte que je ne risquais pas de parler à qui que ce soit ! De plus, j’allais faire de la peine à mes parents et à ma tante et comment expliquer, si c'étaient réellement des viols comme elle le prétendait, pourquoi je n'ai pas crié, pas pleuré, que je ne me suis pas débattue, alors qu'en théorie j'aurai pu le faire ? J’aurais eu l’air de quoi ? Et surtout, si je le dénonçais, mon oncle et ma tante risquaient de divorcer, pire Pierre risquait d’aller en prison par ma faute, c’était alors totalement inenvisageable !

Car à part "ça", il était charmant avec moi, m’appelait par de petits surnoms affectueux, me disait sans cesse qu’il m’aimait avec des trémolos dans la voix et un regard de chien battu ou d'enfant perdu qui me laissait toute attendrie et résignée ! Il me disait aussi que quand on s’aime, c’est normal de faire "ça". Dans ma candeur d’adolescente naïve, je le croyais et pensais innocemment vivre une histoire d’amour. De plus, il était si gentil avec moi. Pas un instant je n'ai remis en cause sa bienveillance. En outre, le fait que mes parents eux-mêmes lui accordent toute leur confiance (alors que les parents, ça ne peut pas se tromper) était un gage de sa moralité. Il lui arrivait de glisser un petit billet dans ma poche en me faisant un clin d’œil et en ajoutant : tu ne le diras à personne n’est-ce-pas, c’est notre petit secret, tu ne veux pas faire de peine à ta tante et à tes parents ?! De quoi parlait-il, du billet ou du reste ? Pourtant, je me demandais sans cesse, pourquoi réagit-il ainsi avec moi s’il m’aime vraiment, comme il le prétend ! Pourquoi me prend t-il toujours par surprise, sans gestes doux et « fait ses affaires » comme si je n’étais pas là, sans se préoccuper de mon désir ou de mon ressenti ?! Cela ne collait pas avec la belle histoire d’amour qu’il prétendait et que je pensais vivre ! Mais j’étais tellement avide d'amour (vu le désert affectif dans lequel je vivais) et je me sentais si fière et importante d'être aimée par un adulte aussi intelligent que je le croyais et que j'ai étais prête à tout accepter de peur de le décevoir ou de le perdre, même si ce qu'il m'imposait me rendait perplexe et me causait un terrible dégout. Si je voulais garder sa protection et son amour, je pensais qu’il me fallait en passer par là.comme si j'avais le choix ! 

Mes sentiments étaient extrêmement confus donc. J’étais entièrement dans l’ambivalence : d’un côté la confiance, l’affection voir la fascination, le sentiment de sécurité et de l’autre, même si je ne réalisais pas encore qu’il s’agissait de viols, je pressentais au fond de moi, le mal et l'interdit. J’avais le sentiment que quelque chose ne tournait pas rond, quelque chose de malsain, d'anormal, qui sonnait faux. Malgré ses belles paroles auxquelles je m’accrochais comme à une bouée, j’avais la sensation diffuse tout au fond de moi que ce n’était pas une histoire d’amour (d’ailleurs lorsque je l’ai surpris avec sa fille, puis avec ma cousine, je n’ai ressentie aucune jalousie, au contraire, cela n’a fait que me conforter dans l’idée qu’il se passait quelque chose de grave). J’avais la sensation que ce qu'on faisait était monstrueux et contre nature, que nous avions dépassé la ligne rouge, mais comme je l’avais laissé faire, j’avais la sensation d’être sa complice, pire, sa maîtresse et que cette ligne rouge nous l’avions donc dépassé ensemble. J’avais terriblement honte et je me sentais coupable. Je pensais à mes parents et à ma tante et je me sentais sale, indigne d'eux. J'avais l'impression de les trahir.  

Ce qui était extrêmement étrange, c’est que je recevais maintes informations explicites : mon ‘histoire’ avec lui, sa fille, ma cousine, les photos, mais c’était comme si j'enfermais toutes ces données dans des boîtes, sans jamais les relier entre-elles, sans jamais en faire une synthèse ou une conclusion. Comme si mon cerveau ne traitait pas les informations qu’il recevait. Comme si ses mots doux et sa gentillesse m’avaient anesthésié le cerveau et annihilé toute capacité de discernement. C’est peut-être cela qu’on appelle le déni. C’est cela aussi qu’on appelle la manipulation. J'étais totalement sous son emprise au point d'avoir une confiance aveugle en lui. Le contexte familial avait d'ailleurs constitué un terreau propice à cette emprise, à ce besoin éperdu d'amour. Mais à cette époque là bien sûr je n’en n’avais pas conscience. Je me sentais totalement dépassée par toutes ces choses que je ne comprenais pas et qui se bousculaient dans ma tête, par tous ces sentiments contradictoires et ambivalents. Je sais aujourd'hui que cette distance que je mettais avec mon ressenti, cette "anesthésie" était en réalité le moyen pour moi de me protéger dans ma tête, pour ne pas devenir folle.

Il a donc fallu attendre plus de 20 ans et toute la patience de mon psychologue pour me faire admettre que c'était, non pas une histoire d'amour comme je le pensais à l'époque, mais bel et bien un viol, avec en plus la double circonstance aggravante que j'étais mineure au moment des faits et qu'il avait autorité sur moi. Maintenant je sais que cette absence de réaction n’était pas liée à un consentement, mais à un état de sidération, car à chaque fois je me sentais trop absente, abasourdie, stupéfaite, choquée pour avoir la moindre réaction. De plus, il agissait toujours par surprise, en me prenant le matin au réveil, profitant que je n'ai pas encore les yeux en face des trous ! J’ai enfin compris qu'il n'a jamais été question de gentillesse et d'amour, mais de manipulation perverse pour parvenir à ses fins et m'imposer des relations sexuelles non consenties ; qu'il s'amusait avec moi comme un chat joue avec une souris, sans se soucier des conséquences.

J'ai été le jouet de ce couple pervers et abjecte. Avec le temps et le recul, je réalise que ma tante ne pouvait pas ignorer ce qu'il se passait sous son propre toit, juste au dessus de sa tête pendant toutes ces années. Lorsqu'il restait trop longtemps dans ma chambre, alors elle criait au pied des escaliers : « mais que se passe t-il là-haut, si cela continue je vais monter » mais elle ne l’a jamais fait ! Si elle disait cela, c’est qu’elle avait  des doutes…qu’attendait-elle pour monter ? ! De plus, si j’ai trouvé les photos sans trop chercher, découvert pour sa fille et ma cousine, il n’est pas pensable qu’elle n’ait rien vu, d’autant qu’il ne prenait pas beaucoup de précautions pour se cacher. Un jour, nous étions toutes les deux dans la cuisine, elle faisait la vaisselle et moi je déjeunais, elle semblait très énervée car elle râlait toute seule et d'un coup elle s'est mise à cracher des insultes dans ses dents : "garce, salope, t'es qu'une salope" qu'elle disait, au bout d'un moment j'ai réalisé quelle parlait de moi ! il ne s'était rien passé de spécial auparavant, donc j'en déduis qu'il s'agissait d'une une crise de jalousie prouvant sa connaissance des faits. Bien entendu sur le moment je n'ai rien compris et suis restée perplexe. 

C'était une femme donneuse de leçons, très élégante, bien plus soucieuse de son apparence physique que de son  élégance morale. Peu importe qu'on fasse les pires cochonneries sur une gamine et qu'on ait une conduite nauséabonde, tant qu'on était bien propre sur soi et bien habillé, les apparences étaient sauves, c'était là l'essentiel ! Lorsque mon histoire a éclatée au grand jour, 15 ans plus tard (c’est ma cousine qui a vendu la mèche), elle a sorti ses griffes et ses insultes en m'accusant d'avoir séduit son mari, reniant ainsi totalement mon statut de victime au profit de celui de rivale, ce qui est complètement aberrant compte tenu de l'âge que j'avais à l'époque et de la découverte de plusieurs autres jeunes victimes. Cela prouve qu'elle est tout aussi malsaine que son pédophile de mari avec qui elle a choisi de rester, ce que j'ai vécu comme une blessure supplémentaire tant cela me semblait incompréhensible (aujourd'hui cela m'apparait comme un aveu de complicité), car je l’aimais profondément. Elle était aussi ma marraine (lorsque j’étais enfant et qu'elle ne connaissait pas encore Pierre, j’allais souvent chez elle, elle me gâtait, me choyait, elle était douce, généreuse et gentille. Tout cela a cessé lorsqu’elle l’a connu. Elle est devenue alors colérique, aigrie et caractérielle !). Par ailleurs, lorsque je me faisais tabasser par mon père et que je ne lui adressais plus la parole pendant des mois, elle me faisait la morale, "va embrasser ton père", et comme je refusais, elle disait que j'étais une mauvaise fille, une ingrate. Lorsque je l’ai revu, 20 ans plus tard, à la mort de mon père, elle m’a snobé, et devant sa dépouille, elle m’a demandé comment j’avais pu lui faire ça, porter plainte ?! Qu’à cause de moi, son mari et elle ont été placés en garde à vue et traités comme des criminels ! Elle n’a toujours pas compris que c’est ce qu’ils sont : des criminels ! Et moi je me demande : comment a t-elle pu me faire cela à moi, sa propre nièce ? Me livrer en pâture à son monstre de mari, alors que j’étais si jeune, si innocente et que mes parents, son frère adoré, lui faisaient entièrement confiance ? 

Lorsque j’ai enfin porté plainte, il était trop tard, le délai de prescription était passé (à l'époque, la prescription était de 10 ans à compter de la majorité...de plus, à cette période, le sujet était tellement tabou qu’il n'était pas question d'en parler, pas comme aujourd’hui où on en parle dans les médias, à la télévision et sur internet).  Aujourd'hui, je regrette de ne pas avoir pu porter plainte et qu’il n’y ait pas eu de condamnation, même si je sais qu'ils ne l'auraient pas compris car leur égoïsme, leur insensibilité, leur lâcheté et leur mauvaise foi exclut totalement la moindre remise en question. Au moins, lui se serait certainement fait violer en prison, il n'y a que cela qu'ils comprennent ! Je n'ai plus aucun scrupule à leur égard et leur sort m'indiffère.

Aujourd’hui, je suis heureuse, en paix avec moi-même, même si j'ai encore trop souvent de brusques accès de colère, voir de rage, ce qui montre que j'ai encore beaucoup de fureur enfoui en moi, même si je ne la ressent pas au quotidien. Je suis juriste, j'ai travaillé dans le domaine judiciaire et je sais que mes choix professionnels et sportifs (je pratique assidument les arts martiaux depuis des années) ne sont pas le fruit du hasard, que tous mes choix sont inconsciemment guidés par ces évènements. Mariée à un homme gentil, j’ai deux adorables enfants dont l'un a l’âge que j’avais à cette époque lorsque tout a commencé, ce qui me permet de prendre pleinement conscience du caractère odieux et monstrueux de cet homme et de ce qu'il m'a fait subir, car je réalise mieux maintenant à quel point à cet âge là on est encore petit, à peine sorti de l’enfance et à quel point on peut être naïf et crédule. Après une longue psychothérapie avec un psychologue formidable, j'ai pu me pardonner et me reconstruire et j'ai voulu témoigner et informer afin de transmettre mon expérience aux victimes par le biais de mon association. Je souhaite aussi faire bouger les mentalités et faire tomber les tabous : que les victimes osent enfin en parler et porter plainte pour que les agresseurs perdent ce sentiment de toute puissance et d’impunité, que le nombre de viols régresse et que la honte change de camp.

Mon violeur s’appelle Pierre THOMAS, il habite 6 chemin des Préhards, à Verrières-le-Buisson, dans l’Essonne. Il coule des jours paisibles chez lui car hormis la garde à vue, il n’a jamais été inquiété par la justice, protégé par un délai de prescription trop court pour permettre aux victimes de prendre le temps de sortir du déni, digérer les faits et se reconstruire. Lorsqu’elles ont terminé ce travail et se décident enfin à porter plainte, le délai de prescription est écoulé et il est trop tard (seulement 10% des victimes parviennent à porter plainte). Les violeurs sont donc bien tranquilles chez eux. Mais je pense que les choses sont en train de bouger. Les victimes de ma génération, devenues adultes, parlent, crée des associations, réalisent des campagnes publicitaires, organisent des pétitions, se battent. Le tabou est en train de se briser et c’est une bonne chose. Contribuer à ce changement et aider les victimes est une réelle fierté pour moi.  En espérant que tout cela fasse également bouger les lois.

L’écriture de ce blog, puis de mon histoire m’a permis de me sentir propre, comme lavée de l'intérieur et de clore enfin, 30 ans plus tard, ce chapitre de ma vie en sortant définitivement du déni car pendant longtemps et même une fois devenue adulte, j’avais conscience de la situation, je savais tout sur le viol mais je ne faisais pas le lien avec mon histoire que je maintenais à distance, même si je savais intellectuellement que j’en avais vécu un. Je n'arrivais pas à lui en vouloir ! Toujours l’histoire des petites boîtes ! J’avais bien toutes ces petites boîtes sous les yeux, connaissais le contenu de chacune d’entre elles, mais écrire m’a permis de les renverser toutes par terre, d’en trier le contenu afin de mettre de l’ordre dans ma tête. Il m’a fallu reconstituer le puzzle en plongeant dans mes souvenirs, aller au cœur de mes émotions, remettre les événements dans leur contexte et leur chronologie, trouver les mots justes pour coller à une réalité longtemps enfouie, ce qui m'a permis de remonter le fil de l’histoire. De mon histoire.